Une chose que nous n’avons pas fait et que nous ne ferons pas, c’est de faire commencer notre enquête sur la présence millénaire des africains en Asie liée à l’esclavage. En effet, nous pensons que le plus grand crime que nous pouvons commettre, c’est d’enseigner à nos enfants que leur histoire commence avec l’invasion, l’esclavage et la colonisation. Notre travail ici se distingue donc des travaux d’autres chercheurs de la diaspora. De nombreux chercheurs insistent sur l’examen de la diaspora africaine seulement du point de vue de l’esclavage, et utilisent cette fondation comme base pour toutes choses.
L’histoire de la présence africaine dans l’antiquité asiatique serait incomplète sans un exposé sur le rôle des africains en tant que serviteur et esclave. Le sujet de l’esclavage africain où que ce soit est clairement la plus sensible et délicate des questions historiques, et trop souvent d’aucuns affirment que les grands migrations internationales africaines ne produisirent que sous le couvert de l’esclavage.
De toute évidence, comme nous l’avons déjà vu, cela ne fut pas le cas. Afin de développer une compréhension globale de l’histoire millénaire des africains en Asie, l’aspect de la servitude doit être objectivement examiné, mais cela peut être pénible. Ce qu’il est important de souligner dans ce contexte, c’est que la période de l’esclavage africain dans les pays d’Asie ne représente qu’une partie d’une histoire beaucoup plus large.
La période de servitude est, en fait, éclipsée par les siècles de gloire noire et la splendeur dans le passé de l’Asie, et que, même des esclaves et des affranchis du peuple noir en Asie se sont distingués à maintes reprises dans une variété de rôles et d’apparences et formes.
La question de la servitude africaine en Asie est intimement liée à la rapide propagation de l’Islam dans les régions ouest et sud du continent où, avec le succès des conquêtes arabes, un grand nombre des «mécréants» vaincus de toutes races sont tombées aux mains des musulmans et furent dispersés à travers les terres qu’ils dominaient. Bien que l’esclavage ne fût pas exclusivement limité aux Noirs, le nombre croissant d’esclaves africains dans les pays musulmans devint si disproportionnée que dans le temps le mot arabe « abd », ce qui signifie esclave, est devenu applicable aux seuls Noirs. Et les communautés de descendants de ces esclaves sont dispersées dans toute l’Asie du Sud.
On estime que jusqu’à 11 millions d’Africains furent emmenés d’Afrique et déportés vers la Turquie, la Syrie, la Jordanie, la péninsule arabique, le golfe Persique, l’Irak, l’Iran, le Pakistan et l’Inde. De tous les territoires d’Asie occidentale, ce fut sans doute en Mésopotamie, ou en Irak, que la présence africaine se manifestait le plus.
Il convient également de souligner que les esclaves noirs d’Asie ne sont pas tous originaire d’Afrique. Au cours des 14ème et 15ème siècles, par exemple, le sultanat musulman indonésien de Tidore faisait de nombreux raids pour se fournir en esclaves, le long des côtes de la Nouvelle-Guinée, le transport de leurs captifs noirs aux marchés d’esclaves de Chine, de Turquie et d’Irak. Ce fut apparemment au cours de cette période que le terme Papou « Malay » (littéralement “crépus cheveux”) est devenu synonyme d’esclave.
LA RÉVOLTE DES NOIRS
La période de servitude africaine est éclipsée par les magnifiques civilisations africaines pluriséculaires, la gloire et la splendeur, pas uniquement en Afrique même, mais dans l’ensemble de la communauté africaine mondiale, y compris en Irak antique.
Ce fut en Irak où les plus grandes révoltes d’esclaves africains se produisirent. Là-bas, il y a plus d’un millénaire, furent rassemblés des dizaines de milliers de travailleurs captifs venus d’Afrique orientale appelés Zanj. Ces Africains, du Kenya, de Tanzanie, d’Ethiopie, du Malawi et de Zanzibar (une île au large des côtes tanzanienne qui contient la racine Zanj dans son nom) et d’autres parties d’Afrique de l’Est, travaillaient dans les marais salants humides du sud de l’Irak dans des conditions d’extrême misère. Mal nourris avec de petites rations de farine, de semoule et de dates, ils étaient régulièrement en conflit avec le système esclavagiste irakien.
Conscients de leur grand nombre et des conditions de travail oppressives, les Zanj se rebellèrent à au moins trois occasions entre les VII° et IX° siècles. La plus grande de ces rébellions dura quinze ans, entre 868 à 883, durant celle-ci les Africains infligèrent défaites après défaites aux armées arabes envoyées pour réprimer leur révolte. Cette rébellion est connue historiquement dans l’histoire arabe et persane comme la Révolte des Zanj (ou la révolte des Noirs). En l’an 871, les Zanj pillèrent Bassorah, en Irak.
Il est important de souligner que les forces Zanj furent rapidement rejointes par des défections à grande échelle de soldats noirs au service du Califat Abbasside à Bagdad. Les rebelles eux-mêmes, endurcis par de nombreuses années de traitement brutal, rendirent à leurs anciens maîtres la monnaie de leur pièce en nature, et on les dit responsables de grands massacres dans les territoires sous leur domination.
A son apogée, la révolte Zanj se répandit jusqu’en Iran et avança à soixante-dix miles de Bagdad elle-même. Les Zanj construisirent même leur propre capital, appelée Moktara (la Ville élue), qui couvrait une grande surface et a prospéra pendant plusieurs années. Ils frappaient leur propre monnaie et dominaient de manière effective l’Irak du Sud. La rébellion des Zanj fut finalement réprimée uniquement grâce à l’intervention de grandes armées arabes et l’offre lucrative d’amnistie et de récompenses à tous les rebelles qui choisiraient de se rendre.
Les peuples africains ont toujours défié l’oppression, et la « Révolte des Noirs » est une page glorieuse de l’histoire africaine et des mouvements de résistance noirs. Grâce à cette révolte, un épisode relativement peu connu dans une partie du monde que certains d’entre nous, jusqu’à très récemment considéraient comme étrangère et étrange, nous voyons des africains agissant comme ils l’ont toujours fait, c’est-à-dire affirmer leur dignité fondamentale et essentielle et se lever pour revendiquer leurs droits humains inaliénables.